Le rôle d’un facilitateur

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Interview

Bertrand Baudez est fondateur du cabinet effiskipper et facilitateur de changements. Il est animé par l’envie d’aider les équipes et les dirigeants à s’approprier les changements plutôt que de les subir, à mieux vivre les évolutions de plus en plus fréquentes de leur structure.

DM : Quel est le rôle d’un facilitateur auprès d’une équipe qui vit un changement ?
A quel type de situation de tels accompagnements peuvent apparaître utiles ?

Le terme de facilitateur est un anglicisme qui traduit le fait d’accompagner un collectif à réaliser un travail de la façon la plus efficace possible. Faciliter signifie de se tenir au coté d’une équipe, être « avec » l’équipe mais pas « dans » l’équipe. Le facilitateur est là pour proposer les méthodologies adaptées aux besoins. Il construit ses interventions en fonction d’une l’intention de l’équipe à un instant t (par exemple faire naitre un dialogue dans un groupe dans lequel les échanges sont rompus, identifier une solution consensuelle, prendre une décision partagée …etc). C’est un tiers extérieur à l’équipe, et ancré dans une posture suffisamment souple pour accueillir tout ce qui se passe et suffisamment ferme pour tenir un cadre qui permette à tous de s’exprimer et d’avancer.

Les situations de changements peuvent entrainer autant d’envie d’avancer, d’élan que de résistances. Gandhi ne disait-il pas : « Si tu décides de quelque chose me concernant sans moi, tu le décides contre moi ». On y voit souvent réapparaitre de vieilles histoires, des tensions oubliées. Le premier mérite d’un travail collectif autour d’un changement, est donc de dire les choses, d’exprimer les ressentis et les besoins de chacun. Le second mérite sera de se projeter dans l’avenir pour aménager le futur ensemble. Attention, il ne s’agit pas d’aboutir à une « lettre au Père Noël » mais à souligner des besoins partagés par le collectif, au service de la mission de chacun, d’aboutir à des actions concrètes pour répondre à ces besoins.

DM : Comment traverser une situation de changement anxiogène ?
Comment recréer de la cohésion dans une équipe ?

Oui, l’anxiété face au changement est naturelle, elle est utile aussi… je m’explique : verbaliser ce qui nous fait peur dans un changement est une très bonne façon d’en analyser les risques. « J’ai peur de ne pas retrouver ma place » (physiquement ou au sein de l’équipe), traduit le risque de ne plus avoir l’environnement adéquat pour bien travailler, de ne pas avoir les compétences requises dans un rôle nouveau. « Je doute que ce nouvel outil qu’on nous impose ne permette pas à nos clients de s’y retrouver » traduit le risque de ne plus pouvoir servir ses clients avec autant d’efficacité. En comprenant l’intention positive derrière l’anxiété, on identifie des risques que des actions « préventives » permettront de sécuriser.

Quant à la cohésion d’équipe elle se construit sur divers éléments. Un élément central est le sens et la raison d’être à travailler ensemble. J’ai dernièrement rencontré deux membres d’une équipe de pompiers dans laquelle les tensions étaient criantes et la désunion étaient évidente, et ce pour diverses raisons. Le jour où cette équipe a été appelée sur un incendie très critique, « désunion » a instantanément cédé sa place à « cohésion ». « Le sens du travail en équipe, de la raison pour laquelle nous étions pompier » a réinvité la cohésion. Il s’agit de redonner collectivement un sens, ceci est valable pour un changement dans lequel on est engagé. Le collectif peut aussi travailler sur des éléments comme la confiance, le plaisir à travailler ensemble, qui sont d’autres facteurs forts de cohésion.


DM : Quel est le bon moment pour déclencher un travail avec les équipes ?

Dans le cadre d’un projet de changement, je crois beaucoup à l’implication des équipes en amont. Il ne s’agit pas de démagogie mais d’une logique forte : inviter les personnes à participer à leur propre projet de transformation, leur donner la possibilité d’être co-auteurs du changement qu’ils vont vivre.

Pour des changements déjà engagés, il n’y a pas de bon ou de mauvais moment. J’invite à être à l’écoute des équipes, à ne pas se dire que les choses vont se tasser d’elles mêmes. En tant que managers, il faut savoir faire confiance à son intuition, faire preuve d’humilité et quand on se sent démunis, se dire que l’on a peut être besoin d’un coup de main extérieur. Plus les choses sont traitées rapidement, moins elles mettront de temps à se résoudre. Quand on fait partie d’une équipe, qui que l’on soit, quelque soit la position que l’on tient face à un projet, on est dans le système et on n’est pas neutre. Or la neutralité est une force du facilitateur. Celui ci portera un regard différent sur les individus et les équipes. Mon approche est de très vite mettre en valeur leurs ressources qui ont permis de relever les défis du passé, que l’on a tendance à oublier. Il faut savoir remettre en avant le positif de l’organisation, les réussites auxquelles chacun a pu contribuer, et les contributions de chacun.


DM : Vous parler beaucoup de s’appuyer sur le positif, sur les succès rencontrés ?

Oui, un vieil adage dit que l’on apprend de ses erreurs, c’est vrai. Mais surtout on a la possibilité d’apprendre encore plus de ses succès. On gagne tellement à s’intéresser à ce que l’on a mis en œuvre pour réussir quelque chose, à partager ces savoirs faire, le plaisir que cela nous a procuré avec d’autres qui pourront mettre ces mêmes ressources au service de leur futurs succès. Et puis, évoquer ses propres réussites, nous permet de nous projeter positivement dans l’avenir, de se sentir plus fort collectivement.

DM : Combien de temps dure votre mission ?

C’est très variable, cela dépend des situations de départ, et des intentions qui sont mises derrière les besoins d’interventions. Cela peut aller de quelques demi-journées à plusieurs journées réparties sur trois à six mois. Le temps joue son rôle, parfois comme un atout, parfois comme un frein. Il faut savoir savamment doser le rôle que nous voulons lui faire jouer.

DM : A quel type d’entreprise s’adresse ce genre de démarche ?

J’ai eu la chance de travailler à la fois dans des petites et moyennes entreprises comme au sein de très grandes institutions publiques ; C’est cette diversité que je trouve passionnante. Chaque organisation a ses histoires, sa culture ses contextes et ses défis. Mes interventions y sont très diverses, cependant quelque soit l’organisation, son secteur d’activité, son orientation lucrative ou non lucrative, on y retrouve des professionnels qui n’aspirent qu’à une chose : bien faire leur travail, être utiles et reconnus pour ce qu’ils font, travailler en bonne intelligence. Or malheureusement les personnes que je rencontre lors de mes interventions sont très souvent encombrées par les symptômes du problème. Le travail ne se fait plus dans de bonnes conditions, leur état d’esprit en est parfois vraiment impacté.


DM : Comment mesurez-vous le succès de votre mission ?

Mes « indicateurs » sont difficiles à faire entrer dans une feuille excel. Ils se nomment « mieux être », « sourires retrouvées », il peut s’agir du retour de conversations entre services, du déblocage et de la mise en œuvre de projets transverses, la perception que les tensions d’hier se sont estompées… Mais si j’agis en homme de pensée, je pense en homme d’action. L’indicateur le plus concret pour moi est l’émergence d’actions concrètes, identifiées collectivement et dans lesquels les personnes s’engagent. Mon objectif est atteint lorsque les participants à un atelier se sont inscrits pour coopérer sur des projets ou des actions concrètes qu’ils ont fait émerger lors de ces ateliers.

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